ET MAINTE PAGE BLANCHE ENTRE SES MAINS FROISSÉE
par Nicolas Reeves et Jean-Marc Chomaz
Dans une enceinte au fond noir, de très fins filets de brume se déplacent horizontalement. Semblable à des nuages, modelée par des voix humaines qu’elle seule entend, la brume prend des formes variées - tourbillons, globules, anneaux, arabesques, filaments… - avant de disparaître. Éphémère et insaisissable. Loin de chercher à contrôler les éléments naturels, l’œuvre nous invite ainsi à les envisager plutôt comme des partenaires avec lesquels composer.
Jean-Marc Chomaz est artiste-physicien au laboratoire d’Hydrodynamique du CNRS et de l’École polytechnique. Nicolas Reeves est créateur-chercheur à l’école de design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Et mainte page blanche… est un projet de recherche-création impliquant aussi les jeunes chercheurs de leurs équipes : Pierre Bourdon, Vincent Cusson et Quentin Benelfoul.
L’installation est centrée non pas sur l’idée que la brume est un matériau dont on peut contrôler la forme, comme une sculpture, mais sur l’image de la brume et de l’air qui l’entoure comme des entités autonomes et agissantes. La première étant plus lourde que le second, elle a sa propre dynamique : elle répond aux ondes sonores en créant chaque fois des formes uniques.
Avec le soutien du CNRS, de l’UQAM et de la Chaire Arts & Sciences.
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Transcription de la pastille sonore :
En miroir de l’installation voisine "Homogenitus", voici une autre machine à nuages. Mais alors que la première évoque le contrôle des éléments, celle-ci appelle au contraire à la contemplation de leur incontrôlabilité…
Plongez le regard dans ces volutes évanescentes. La brume n’est pas ici considérée comme une matière à sculpter, mais comme un élément autonome, avec lequel les artistes-chercheurs tentent de dialoguer avant de l’apprivoiser.
Brumisateurs et compresseurs injectent ici de la brume dans des tubulures et des buses aux profils soigneusement dessinés. 64 filets de brume, de la même matière que les nuages, c’est-à-dire composés de microgouttelettes d’eau, traversent ensuite une petite chambre munie de haut-parleurs : ondes sonores, séquences musicales et voix de poètes, que seule la brume entend, modulent alors ces filets dans l’enceinte principale.
La brume étant imperceptiblement plus lourde et d’une vitesse différente que l’air clair qui l’entoure, elle possède sa propre dynamique et répond aux moindres perturbations pour créer des formes et des textures, renouvelées à l’infini. Aux sons de ces souffles secrets, de ces murmures, naissent ces arabesques éphémères qui persistent quelques secondes avant de s'évanouir.
Le titre de cette œuvre vous a sans doute interpellé : “Et mainte page blanche entre ses mains froissée…” est un vers de Victor Hugo, tiré d’un poème des “Contemplations” où il évoque le souvenir de sa fille disparue Léopoldine. Les artistes racontent que la machine leur a soufflé ce titre lorsqu’ils l’ont mis en marche pour la première fois.
C’est ce lien ténu entre écriture, mémoire et disparition qui sous-tend la danse fugace des brumes et questionne notre rapport au fragile, à l’éphémère.
“Et mainte page blanche” parle à la fois de cette évanescence du réel et de la mémoire de ce qui a été, mais évoque aussi avec mélancolie tous les futurs à venir, que la machine rejoue sans que nous ne puissions en déchiffrer les oracles.
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