LES MAINS QUI DÉTOURENT LE MONDE
Un chat, un être humain ou un feu tricolore ? Comment les voitures autonomes font-elles la différence? Derrière les algorithmes de reconnaissance d’images se cache le micro-travail réalisé par des millions d’hommes et de femmes dans le monde. À longueur de journée, ils légendent photo après photo pour apporter un peu de bon sens humain dans les IA. En retraçant les étapes de ce travail fastidieux indispensable au fonctionnement des IA, l’artiste ouvre une fenêtre sur le quotidien des mains qui détourent le monde.
Nicolas Gourault est un artiste et réalisateur formé à l’ENSAPC, au Fresnoy, Studio national, ainsi qu’à l’EHESS. Alliant une pratique d’enquête à un usage artistique et critique des technologies, ses œuvres ont été exposées dans des lieux d’art contemporain et dans des festivals de cinéma. Son documentaire Unknown Label remporte un prix au festival Ars Electronica en 2024.
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Transcription de la pastille sonore :
Nicolas Gourault nous dévoile le travail humain caché mais nécessaire à l’entraînement des IA, à travers le cas des voitures autonomes. Comme elles ont besoin de savoir décrypter parfaitement l’environnement dans lequel elles circulent, on doit leur traduire notre monde afin qu'il soit interprétable par leur algorithme. Pour cela, on fait appel à des personnes pour traiter les images que leurs capteurs prennent en continu. Ce processus, très laborieux, qu’on nomme micro-travail, ne peut pas être automatisé. Il est donc externalisé via des plateformes en ligne vers des pays où la main-d’œuvre est moins chère. Ces milliers d’hommes et de femmes anonymes qui vivent au Venezuela, au Kenya ou aux Philippines, ce sont les travailleurs et les travailleuses du clic. Avec la montée en puissance de l’IA, leur nombre explose : selon la Banque Mondiale, ils pourraient bientôt représenter jusqu'à 9% de la force de travail sur la planète. Et pourtant, nous sommes nombreux à ignorer leur existence.
L’artiste les met en lumière avec son installation issue de son documentaire "Unknown Label". Diffusé dans le container, il met en récit les images que les travailleurs lui ont transmises, après les avoir fait fuiter de leur travail. Sur les faces extérieures, une exposition photo détaille la segmentation d’image. Pour matérialiser ce qu’ils voient en tout petit sur leurs écrans, des silhouettes à taille réelle reproduisent les objets qu’ils détourent pour que l'IA apprenne à les reconnaître : panneaux de signalisation, promeneur avec son chien, mobilier urbain. Des étiquettes de labellisation les classifient et forment des nuages de mots. De l’autre côté, une frise, partant d'une image de paysage urbain prise par une voiture autonome, montre la labellisation de ces éléments : "ceci est un arbre", ou "ceci est un vélo”. Des phrases sont mises en perspective avec son installation : une sélection de citations issues des travaux de recherche du sociologue Antonio Casilli, spécialiste de ce micro-travail numérique, ainsi que des verbatim des travailleurs qu’il a rencontrés pour sa vidéo.
En redonnant ainsi la parole à ces petites mains du clic, l’artiste nous confronte à leur dure réalité quotidienne. L’un d’entre eux travaille près de sa fenêtre pour se raccrocher au réel, une autre a besoin d’écouter de la musique pour s'acquitter de sa tâche ingrate … . L'œuvre de Nicolas Gourault nous fait prendre conscience des impacts, encore trop souvent méconnus, humain et éthique de notre utilisation du numérique.
Crédit visuel : Nicolas Gourault
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