Pourquoi le jeu politique est devenu si illisible en RDC
Ils sont trente-cinq sur la liste. Trente-cinq dĂ©putĂ©s qui se revendiquent du courant « rĂ©volutionnaire progressiste » d’Ensemble pour le changement, plateforme politique de MoĂŻse Katumbi, mais qui ont renouvelĂ©, ce mardi 11 octobre, leur « loyautĂ© et [leur] fidĂ©lité » au prĂ©sident FĂ©lix Tshisekedi, autoritĂ© morale de la coalition au pouvoir, Union sacrĂ©e de la nation. Une nouvelle illustration de l’illisibilitĂ© actuelle du jeu politique congolais. D’autant que Katumbi et Tshisekedi restent, sur le papier, dans le mĂŞme camp alors que, dans les faits, ils ne sont plus ensemble depuis longtemps.Â
Bonjour,
Je m’appelle TrĂ©sor Kibangula. Je suis analyste et directeur du pilier politique Ă Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence. Vous Ă©coutez le 33e Ă©pisode de la saison 2 de Po Na GEC, capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo, centre de recherche indĂ©pendant basĂ© Ă l’UniversitĂ© de New-York, et d’Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC. Chaque semaine, ce podcast donne notre point de vue sur une question d’actualitĂ© en RDC.Â
Nous sommes le vendredi 14 octobre 2022.Â
Au centre de notre réflexion, une question : pourquoi est-il devenu alors si difficile de savoir qui est vraiment avec qui sur la scène politique congolaise ? Tout remonte à l’explosion, fin 2020, de la coalition entre le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila et le Cap pour le changement (Cach), plateforme politique de l’actuel chef de l’État, Félix Tshisekedi. Alors qu’il était majoritaire à l’Assemblée nationale, le FCC voit nombreux de ses députés rejoindre la nouvelle coalition Union sacrée de la nation, initiée par Tshisekedi.
Problème : le règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’a pas prévu le changement de la majorité parlementaire au cours d’une législature. Il impose d’ailleurs aux partis et regroupements politiques de déposer une « déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition » au bureau provisoire de la chambre basse « au début de chaque législature ». En conséquence, le député doit rester membre du groupe parlementaire auquel appartient son parti ou regroupement politique, sous peine de devenir non inscrit. Conséquence : le mandat du député appartient, en réalité, à son parti ou regroupement politique sous l’étiquette duquel il a été élu.
Mais en même temps, la Constitution du pays interdit le mandat impératif. Autrement dit, le député congolais n’est pas le délégué ni de son parti ni de son regroupement politique à l’Assemblée nationale. Il représente plutôt la nation.
Alors, comment concilier ces deux considĂ©rations au moment oĂą l’échiquier politique connaĂ®t un chamboulement inattendu ? Saisie, la Cour constitutionnelle a tranchĂ©, le 15 janvier 2021, en faveur de la libertĂ© du dĂ©putĂ© Ă changer de camp au cours d’une lĂ©gislature, sans entraĂ®ner forcĂ©ment la perte de son mandat. En un claquement de doigts, cet arrĂŞt anĂ©antit le pouvoir du parti ou du regroupement politique sur le dĂ©putĂ©. Ce dernier devient comme un Ă©lectron libre. Libre de demeurer membre d’un parti d’opposition, tout en adhĂ©rant dans une coalition au pouvoir. Et inversement.Â
Le jeu politique Ă l’AssemblĂ©e nationale s’effectue dĂ©sormais avec un règlement intĂ©rieur inadaptĂ©. L’absence de rĂ©vision de ce dernier constitue un environnement propice Ă la montĂ©e en puissance de la transhumance politique des dĂ©putĂ©s. Selon l’évolution de rapports de force politiques en prĂ©sence, ils peuvent passer d’un camp Ă l’autre. Sans sourciller mais non sans jamais monnayer parfois leur positionnement. Pour exister ou espĂ©rer prĂ©server son statut, l’on suit en effet l’acteur politique le plus offrant, le plus puissant. « La transhumance politique est devenue Ă la fois un mode de survie des Ă©lites politiques et de la dĂ©mocratie », note d’ailleurs le chercheur Matthieu Mamiki de l’UniversitĂ© de Kisangani.Â
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