Maximilian Joseph de Montgelas : un Savoyard père de la Bavière moderne
« Dans la tradition, typiquement savoyarde, du service étranger où les originaires du Duché s’élèveront souvent aux plus hautes fonctions militaires et civiles, aucune lignée n’a brillé d’un plus vif éclat que celle des Garnerin de Montgelas. Maximilien Joseph de Montgelas est, Outre-Rhin, une gloire nationale, considéré comme « le père de la Bavière moderne ». Mais aucune famille non plus n’est aussi peu connue chez nous. Elle n’a droit qu’à une ligne dans le Dictionnaire de Grillet et la notice de l’Armorial de Savoie est tout aussi succincte pour la branche allemande. »[1]
Si l’on demandait à nos compatriotes, même germanistes, de citer un Français qui a joué un rôle aussi éminent pour ne pas dire exceptionnel en Allemagne, on a plus de chance d’entendre prononcer le nom de Voltaire que celui du Comte Maximilien Joseph de Montgelas (1759-1838). Un homme de pensée dans l’action qui s’est révélé, avec Bismarck plus tard en Prusse, être un des plus grands hommes politiques de l’Allemagne du XIXe siècle. On n’a bien peu de chances aujourd’hui de retrouver de telles exceptions, « caractéristique de familles qui ont constitué la vieille Europe ».
La relation entre la Bavière et la France ne se conjugue pas qu’au seul passé. L’avenir est porteur d’espérance. « Avec ses 13 millions d’habitants, son économie à vocation internationale et son produit intérieur brut (PIB) de 630 milliards d’euros, l’État libre de Bavière est une région forte au cœur de l’Europe.»[2]
Comme le rappelle le Dr. Florian Herrmann, chef de la Chancellerie de l’État de Bavière, ministre délégué auprès du Ministre-Président Markus Söder, chargé des affaires fédérales et des média, « La France et la Bavière sont liées de longue date par un partenariat étroit et solide. En Bavière, nous sommes conscients que la France a exercé une influence significative sur le développement de notre région : lorsque le royaume de Bavière fut porté sur les fonts baptismaux en 1806, ce fut avec le soutien de l’empereur Napoléon Ier. Et c’est le Comte de Montgelas, lui-même d’origine française, qui jea les bases de l’ordre politique et administratif de la Bavière en prenant en compte les réformes du Premier Empire français. Des orientations importantes dont l’impact se ressent encore aujourd’hui.»
Pour construire cet avenir ensemble, mieux vaut donc, ensemble, affronter le passé, ses solutions comme ses erreurs.
Il y a au moins deux de nos contemporains pour tenir Maximilien de Montgelas en très haute estime. Tous deux ont en commun d’être férus d’histoire et sont délégués régionaux du Souvenir français en Allemagne.[3] Le Souvenir français est, rappelons-le, la plus vieille association patriotique française, créée en 1897, 17 ans après la cuisante
défaite de Sedan et l’annexion de l’Alsace-Lorraine, résultat d’un antagonisme entre la Prusse et la France qui en un siècle sera dévastateur pour l’Europe. « Il y a eu Sedan parce qu’il y a eu Iéna » (Bismarck)
Pour évoquer ces pages de notre histoire contemporaine, trop souvent écrites avec le sang, nous citerons deux témoignages très riches :
A Berlin, celui du professeur Étienne François, agrégé d’histoire, qui a enseigné à la Sorbonne et pendant trente ans à la prestigieuse Université libre de Berlin (Freie Universität), « très impressionné par Montgelas » … « Un homme politique « éclairé » de la dernière année du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle : il est « aufgeklärt » à 100
%, réformateur énergique, et tire par ailleurs profit de la République puis de Napoléon pour renforcer le pouvoir bavarois (Électorat puis monarchie à partir de 1806) et profiter au mieux des avantages de l’alliance avec la France (doublement des dimensions du royaume).
Il a certes accepté qu’un contingent de l’armée bavaroise participe à la campagne de Russie (d’où le monument aux morts de la campagne à Munich), mais s’est bien gardé de pousser trop loin l’alliance (non-participation à la bataille des nations de Leipzig, si je ne me trompe, ce qui veut dire fin de l’alliance avec la France à partir du moment où elle risque de devenir dangereuse et contreproductive). Je sais par ailleurs qu’il a repris pour la Bavière le statut de fonctionnaire mis en place par la France postrévolutionnaire.
Quant à sa politique envers l’Église catholique, elle ressemble elle aussi fort à un mélange de la politique de Joseph II d’Autriche, de la Révolution à ses débuts, et de Napoléon . Une exception : Oberammergau qui a réussi à subsister, alors que Montgelas avait décidé de supprimer toutes les cérémonies religieuses comparables.»
A Munich, citons Pierre M. Wolff, retraité de l’Education Nationale, ayant servi notamment à l’Institut Français et au Consulat Général de France à Munich, qui consacre une partie de son temps à célébrer la mémoire de ce « Savoyard d’exception symbole d’un transfert culturel franco-allemand réussi.»
A cet effet, il créa il y aura bientôt trente ans une association de droit allemand, également déclarée en France sous la forme juridique d’une association Loi 1910, la « Société Montgelas pour la promotion de la coopération franco-bavaroise »,[4] qui, au fil des ans, est devenue un trait d’union entre la Bavière et la France. Plus qu’un Land, un État qui, « jaloux de sa souveraineté, n’hésite pas à croiser le fer avec l’État fédéral »
… « La Bavière n’est pas le plus grand des Länder, mais c’est le seul à disposer d’une histoire aussi longue et de traditions aussi fortement enracinées » … « La Bavière est aujourd’hui le plus centralisé des Länder allemands », constate Pierre Wolff, l’un des meilleurs connaisseurs français de la Bavière, co-animateur de la très active société Montgelas pour la promotion de la coopération franco-bavaroise, du nom du comte de Montgelas, ce ministre savoyard qui dota la Bavière d’institutions modernes au début du XIXe siècle, et qui fait qu’aujourd’hui la Bavière est, de tous les Länder, celui dont l’administration est sans doute la plus attentive à ce qui se passe en France et où l’opinion publique est la plus francophile du pays.»[5]
Maximilien Joseph de Montgelas
Issu d’une famille de la noblesse de robe de Savoie, les Garnerin, seigneurs de la Thuille, de Mondragon et de Montgelas, fiefs situés dans la région de Chambéry. L’aîné des fils, Maximilien Joseph, naît à Munich le 12 septembre 1759, étudie à Nancy, Strasbourg et Ingolstadt. Maximilien poursuivra sans relâche la tâche de son père, le général Janus de Montgelas, qui, entré au service des Wittelsbach, s’était illustré dans la guerre de Sept ans, avec le même objectif en tête : servir la cause de la Bavière, une Bavière alliée à la France.
A 20 ans il entre dans la fonction publique bavaroise. Son appartenance aux Illuminati, société secrète bavaroise qui soutient les propositions les plus anticléricales du siècle des Lumières le rend suspect. Il entre alors, comme son père, au service des Wittelsbach, et plus précisément de la branche comtale palatine des Deux-Ponts. Secrétaire privé, promu ministre, il prendra part au Congrès de Rastatt en 1798. Très lié à Napoléon, il sera le véritable artisan de la transformation de l’électorat de Bavière en un royaume que Napoléon va proclamer en 1806.
« Montgelas est armé. Il s’est entendu avec la France et a conclu un traité d’alliance secret. Les deux parties espèrent en tirer profit : la Bavière a besoin de protection contre les appétits annexionnistes des Habsbourg, Napoléon a besoin d’États allemands moyens renforcés pour affaiblir la Prusse et l’Autriche. En octobre 1805, les troupes françaises battent les formations autrichiennes sur le sol bavarois, et le 24 octobre 1805, Napoléon entre dans Munich sous les acclamations frénétiques de la population. En retour, les troupes bavaroises combattent en décembre aux côtés de Napoléon à Austerlitz, où la Russie et l’Autriche sont vaincues par la Grande Armée. En
remerciement de l’aide apportée par les armes, l’électeur bavarois reçoit, en plus des possessions autrichiennes en Souabe, le droit de porter le titre de roi. Le 1er janvier 1806, Maximilien Ier Joseph proclame sa nouvelle dignité. La Bavière, jusqu’alors fief de l’Empire en tant qu’électorat, est désormais un État souverain de droit propre.» [6]
Quelques semaines après la victoire éclatante d’Austerlitz, le 2 décembre 1805, l’Empereur parie sur ce futur Royaume de Bavière pour devenir un rempart contre la toute-puissance des Habsbourg et contrebalancer le pouvoir de la Prusse et de l’Autriche qui depuis longtemps rêve d’annexer la Bavière. Il entend transformer une situation de paix trop fragile pour établir – dans la durée – une véritable paix. C’est ainsi que le 26 décembre 1805, un Traité de paix est signé entre la France et l’empereur germano-autrichien, François 1er.
Le 1er janvier 1806, Maximilien 1er de Bavière est proclamé roi de Bavière à Munich. Le royaume comprend, outre « l’électorat de Bavière », une grande partie de la Franconie, la Souabe et de nombreuses régions séculaires de la vieille Bavière avec, au Nord, le Palatinat sur la rive gauche du Rhin (Mayence, chef-lieu du Département du Mont Tonnerre).
Napoléon a atteint son objectif : réorganiser le Saint-Empire germanique pour le transformer en une Confédération du Rhin, basée sur des protectorats français. Une véritable provocation pour la Prusse qui donne un ultimatum à la France en la sommant d’évacuer les rives du Rhin. La Prusse se sent humiliée et rêve d’en découdre.
Vaincre est une chose, mais la victoire ne saurait être totale que si l’on sait retourner son adversaire déclaré d’hier pour en faire un véritable allié. La pire des fautes étant de l’humilier publiquement.
Si Napoléon après la bataille des Trois Empereurs à Austerlitz a su faire preuve de mansuétude envers l’Autriche et la Russie, il n’a pas pardonné à la Prusse et n’a pas mis longtemps à le lui faire savoir.
Le 1er janvier 1806, le royaume de Bavière est créé. Les troupes françaises sont positionnées sur la rive gauche du Rhin. En réaction, la Prusse – première armée d’Europe – ordonne leur évacuation. Devant le refus de Napoléon, les troupes commandées par le général de Hohenlohe, deux fois supérieures en nombre – l’armée prussienne est la plus importante armée d’Europe – soutenues par des troupes russes, va déclarer la guerre à la France.
Napoléon, en fin stratège, a étudié personnellement le terrain et minutieusement préparé son dispositif. Il va ainsi remporter en une guerre éclair deux batailles décisives à Iéna et à Auerstedt en Thuringe. La Prusse déjà humiliée est maintenant vaincue sur son terrain. Napoléon défile à Berlin. La Prusse n’aura qu’une seule idée, se venger. Elle essaiera à plusieurs reprises mais n’y arrivera qu’en 1870 en profitant de la désorganisation et de l’affaiblissement de la France. Elle savourera alors sa revanche à Sedan. Comme le dira Bismarck : « il y a eu Sedan parce qu’il y a eu Iéna et Auerstedt.» Cette revanche ira même jusqu’à la création et la proclamation de l’Empire d’Allemagne sous la bannière de la Prusse dans la prestigieuse galerie des glaces du château de Versailles. De même, en 1940, les troupes d’Hitler écraseront Sedan pour rappeler qu’on n’humilie pas la Prusse impunément !
Montgelas jette les bases de l’ordre politique et administratif de la Bavière
Entre l806 et 1918, le Royaume de Bavière va se renforcer. Maximilien de Montgelas est nommé Premier ministre. Fidèle aux idées des Lumières, il instaure une politique de laïcisation et de centralisation administrative. On lui doit la modernisation de l’Administration bavaroise qui va s’imposer en Allemagne comme un modèle. Il est aussi un précurseur dans le domaine économique et social : c’est ainsi qu’il élabore un plan directeur ambitieux pour la modernisation de la Bavière, « le mémoire d’Ansbach » redécouvert dans les années 1960. La noblesse et le clergé sont désormais soumis à l’impôt, de quoi révolutionner l’époque.
En 1808, Montgelas donne à la Bavière sa première constitution moderne : il abolit les reliques du servage, puis, en 1812, la torture, après l’introduction d’un nouveau code pénal fondé sur des normes humanitaires modernes. La scolarisation, la vaccination et le service militaire sont rendus obligatoires. L’administration bavaroise est réorganisée autour d’un cabinet centralisé de ministères modernes qui remplace les multiples chambres d’antan. Montgelas favorise également le libre-échange en faisant abolir tous les péages dans le royaume de Bavière. Mais surtout, il conçoit et met en œuvre « le Dienstpragmatik », un règlement pour les fonctionnaires, qui servira de modèle à toute la fonction publique allemande. Désormais, l’admission à un service dans l’administration publique ne se fait plus sur la base de l’appartenance à la religion catholique ou la noblesse, mais uniquement sur la qualité de l’éducation. Les fonctionnaires perçoivent un salaire suffisant et leurs veuves une pension. Ce règlement, qui met fin à la prépondérance de la noblesse dans les rangs les plus élevés et les plus décisifs de l’administration publique, permet à Montgelas de restructurer la
fonction publique sur une déontologie nouvelle qui crée, par la même occasion, un groupe social de serviteurs dont l’unique loyauté ira à la couronne et au royaume de Bavière.
Un bilan impressionnant que l’on doit à un personnage hors du commun.
Aujourd’hui la société Montgelas est un des emblèmes de la coopération franco-bavaroise, un lieu d’échange privilégié. Son président, Pierre M. Wolff, est intarissable sur les mérites de ce Savoyard qui donnera à la Bavière « le territoire et les institutions qui sont encore les siennes aujourd’hui ». Munich se devait de lui bâtir une statue de 6 mètres de haut, fraisée dans un bloc d’aluminium, érigée en 2005 en face du Palais Montgelas, qui fut sa résidence et en même temps le siège de son gouvernement.
Le Palais Montgelas appartient depuis plusieurs décennies à l’hôtel Bayerischer Hof où se tient tous les ans notamment la Conférence de Munich sur la Sécurité. La Société Montgelas, quant à elle, remet annuellement le Prix Montgelas, un prix honorifique matérialisé par un buste en porcelaine de Chine de Montgelas, alternativement à Munich et à Paris, qui récompense des personnalités des deux pays œuvrant dans l’esprit de Montgelas ou engagés dans la coopération franco-bavaroise. Le caractère original du Prix tient dans le fait que le discours d’éloge est toujours prononcé par une personnalité qui vient de l’autre pays que celui du lauréat, obligeant ainsi à un croisement des regards de part et d’autre du Rhin.[7]
Une occasion unique pour nous de découvrir un personnage emblématique et saluer la réussite exceptionnelle d’un de ces Français expatrié qui, sur des idées françaises va adapter et doter sa patrie d’adoption pour en faire un modèle d’organisation. Un précurseur dont la mémoire gagne à être honorée.
Jean-Michel Poulot
Joël-François Dumont
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